Myriam?
Le 29 janvier. Je ne vous dis pas l'année, ça ne servirait à rien. Je ne m'en rappelle pas de toute façon. Mais CE 29 janvier, c'était la première fois que je consentais à l'appeler par son prénom.
À travers mes oreilles en chou-fleur, une sonorité qui traversait mon crâne jusqu'alors trop peu réceptif, trop opaque, trop plein de trucs obsolètes, ridicules. Trop plein de matière moribonde passée date.
Tu es ici, Myriam?
«Une fleur beige, tu parles d'un concept.»
C'est tout ce que j'ai tiré d'elle ce soir-là. Une dénonciation horticole.
«Oui, mais beige c'est pas si mal, non?»
Elle a jamais répondu à ma question.
Pourtant, son regard disait autre chose. Elle était là-bas, dans le monde des fleurs beiges, celles qui se posent des questions différentes, qui voient et mathématisent autrement. J'ai lancé une autre perche, une dernière et puis j'arrête.
«Pourquoi beige? » De toutes les couleurs, elle aurait pu mieux choisir non? Quelque chose de plus vivant, quelque chose qui amorce autre chose, une couleur plus... ouais vivante voilà.
Elle a longtemps regardé droit devant. Pas si longtemps, juste assez pour refaire le monde à sa façon 177 fois, en ne m'incluant jamais, car moi je porte pas le beige, je porte le transparent, cette couleur inexistante, inodore, incolore, socialement déficiente.
Le lendemain, dès mon lever j'allais faire autre chose. Ouvrir mon journal, m'absorber dans les mots croisés, mon horoscope, la phrase du jour. J'en étais rendu à me demander si... en fait je me demandais rien du tout, je ne faisais que m'allouer du temps d'emprunt. Myriam était là, sans y être vraiment. C'est alors qu'elle me répondit. Pas nécessairement à moi, mais elle répondit ceci:
«Le beige, c'est un blanc qui a eu trop chaud.»
J'ai posé tant d'autres questions. Elle était là, à fixer à travers moi tout ce qui se passait, en prenant grand soin de m'extraire de sa réalité cognitive.
Le 29 janvier. Sa mère l'avait abandonnée dès le 30, treize années plus tôt. Restait moi. C'est vous dire s'il restait presque rien. Car ce monde atrophié qu'elle s'est créé, il est maintes fois plus réussi que le mien. Allez lui expliquer ça.
Et expliquez-moi. Mais c'est vrai que c'est trop chaud.
1 commentaire:
Et un autiste voudrait être toi. Ah non sûrement pas...
Dis donc l'artiste, serait-ce le début d'une autre chronique que voilà?
La suite! la suite! la suite! Toute suite!
Publier un commentaire