2 juin 2007

J'ai pas traversé l'Atlantique en ballon

Ça doit faire huit ans que je l'ai pas vu. Travaillait à la Maison du père à l'époque. Un petit boulot en attendant autre chose. Un gars bourré de talent, défroqué de l'École d'architecture parce que les architectes en devenir le faisaient chier. Ils voulaient construire des concepts, des trucs pour gagner des prix, qu'il me disait. Voulaient pas construire des piaules pour que les gens y vivent leurs vies simplement, élèvent des familles, y fabriquent une vie. Non, ils voulaient construire du faux-rêve pas achetable, pas baisable, pas rien. Alors il a laissé tombé et il est allé faire autre chose. Il a bien fait. Il a crissement bien fait.

Mais là je ne sais pas trop ce qu'il fait. J'avais tenté de reprendre contact, je l'ai cherché mais juste un peu. Pas trop, car c'est ce genre d'amitié qu'il ne faut pas remuer ciel et terre pour enflammer. Faut juste être là au bon moment. Je me suis convaincu par la force des choses que nos routes se recroiseront un jour. Et qu'on reprendra la conversation laissée la veille.

Mais il m'a laissé un héritage moral assez intéressant. Vous savez ce qu'il a fait? Non c'est impossible, vous pouvez pas savoir. Ça peut sembler anodin mais ce l'est pas. Il a dîné au milieu d'une route. Ouais, en plein milieu.

Il a traîné son vieux bazou, il y a de ça 1000 ans, sur une route qui menait à la Baie James, quelque chose comme ça. Loin. Creux. Le loin du creux. Et presqu'arrivé là, ne rencontrant nulle âme qui vive, il a bivouaqué, hop, en plein milieu de la route, sur la ligne jaune sauvagement défraîchie par les intempéries et le manque d'attention.

Moi ça m'allume ce genre de truc. Je veux faire ça quand je serai grand.

Je veux aller voir là-bas. Sans âme qui vive. Garer la voiture, installer ma petite nappe, mon couvert, sortir mon repas frugal et m'asseoir sur mon froc, en plein milieu d'une route. Et patiemment engloutir ce que j'aurai eu le coeur d'amener avec moi. En plein milieu de nulle part, en plein milieu d'une voie qui sert à amener personne nulle part.

Je prendrai une photo et je la mettrai dans mon salon, plus tard, beaucoup plus tard. Et je la pointerai en me disant que j'ai peut-être pas traversé l'Atlantique en ballon, mais j'ai mangé sur la ligne jaune d'une route à deux voies qui n'a amené personne nulle part, et ne l'a pas ramenée non plus, cette pas de personne-là.

C'est ça que Paul m'a légué. Je lui dirai quand je le verrai. De toute façon avec ma chance, c'est lui qui me forcera à me tasser sur cette putain de route. Mais j'aurai prévu hein.

Il y aura couvert pour deux.

2 commentaires:

Mlanie a dit...

Ayoye, trop hot ton histoire, sérieux, vraiment vraiment trop hot.

Merci :-)

Antoine a dit...

Tu t'es déjà initié au concept en campant au milieu d'un sentier de VTT. Très bon texte. Attend pas que Sof soit mauvaise pour écrire. :)