6 juin 2013

Je suis un auteur du dimanche (à défaut d'être endimanché)

On m'a récemment demandé de participer à ceci, et c'est avec empressement et beaucoup de décalage horaire que je me suis exécuté.  On dira que ça se sent, avec raison.  J'ai malgré tout eu beaucoup de plaisir à lire ceci devant une foule conquise en rut.  Quelque chose comme ça.  Il fallait rédiger 1000 mots sur un thème choisi, l'asphalte dans ce cas-ci.  Voici le texte:  

Il était exactement 17h55 (à Reykjavik, Islande) jeudi dernier quand, naïf, reposé et à la veille d'entreprendre mon inévitable retour en sol montréalais, j'ai eu cette brillante idée d'ouvrir ma page Facebook, assis confortablement au bar de l'auberge où nous étions installés. 

«Yo Bonhomme!», m'écrivait Olivier Bruel, en guise d'introduction à un message personnel court qui allait droit au but.  Je vous épargne le reste de ce texte dont la conséquence directe est ma présence ici ce soir.  Clairement, ce sombre individu ne comprend pas le message quand on s'en éloigne de 3749 kilomètres.

« Ce sera sur le thème de l'asphalte »,  me prévient-il.  Ça a la qualité de ne pas être banal comme sujet, mais disons que l'inspiration ne m'a pas frappé de plein fouet.  Toutefois, une demi-pinte de houblon islandais consommée somme toute assez rapidement a cette faculté de nous rendre intéressé à tout et de nous inspirer pour tous les sujets imaginables. 

Le reste de cette demi-pinte et environ cinq heures de tournées de bières et de shooters plus tard, je ne me rappelais plus vraiment qui était cet Olivier Bruel, ou à quoi pouvait bien servir de l'asphalte. 

Le lendemain matin, qui n'était pas techniquement le lendemain, c'est avec un mal de tête, un haut le coeur, les contrecoups d'un décalage horaire en devenir et deux trop longs vols pour un gars pris du vertige que j'ai entrepris le dur labeur d'essayer de définir ma relation avec l'asphalte.  Du même coup, j'en suis venu à tenter de définir ma relation avec Olivier Bruel et ma dépendance aux réseaux sociaux mais 1000 mots étant nettement insuffisants, je me suis ressaisi. 

À l'image de l'étudiant moderne pour qui tourner les pages d'un dictionnaire s'avère être un geste vulgaire et moyenâgeux, je me suis tourné vers Wikipédia pour approfondir ma notion de ce matériau auquel je n'avais vraiment jamais réfléchi avant, sinon pour trouver des mots nouveaux pour le maudire à chaque printemps venu. 

On peut donc y lire, guillemets « l’asphalte désigne un mélange de bitume et de granulats. C'est un matériau « fermé » ne comportant PAS ou PEU de vide. », fin des guillemets. Clairement, monsieur Wikipédia ne réside pas à Montréal.

« Ne comportant pas ou peu de vide ».  Voilà qui était peu rassurant à lire alors que je me trouvais à quelque 40 000 pieds d'altitude en me demandant quel cartel de la construction peu scrupuleux était responsable de la piste qui allait ralentir et, accessoirement, arrêter le mastodonte de 130 tonnes, long de 155 pieds, se déplaçant à une vitesse de 858 kilomètres heure dans lequel je me trouvais.

Asphalte. Ce mot exagérément sous-utilisé dans mon vocabulaire jusqu'à la veille de mon retour était en train de transformer ma vie - qui s'annonçait soudainement rapidement et douloureusement écourtée - en enfer.  La sélection de films médiocres, un repas qui ferait saliver d'envie les patients de n'importe quel hôpital ainsi que le mini-bar hors de prix à bord du Boeing n'ont absolument rien fait pour me changer les idées. 

Je me suis souvent moqué avec beaucoup de condescendance des gens qui applaudissent lorsqu'un pilote réussit à poser son engin.  Ces passagers ne savent rien, aveuglés par leur bonheur d'être enfin parvenus à destination.  Moi c'est l'asphalte que j'applaudissais à tout rompre une fois les moteurs éteints.

Je comprenais enfin tous ces papes modernes qui, à chacune de leur première visite dans un pays quelconque, s'agenouillent pour donner au bitume chaud l'amour qu'ils ont juré de ne donner à aucune femme.

Remis de mes émotions, je rentrais enfin chez moi en défiant avec peu d'autres automobilistes les rues, ruelles et boulevards en ce début de nuit montréalaise.  Cette nappe de pétrole transformée qui me faisait craindre le pire quelques longues minutes auparavant me ramenait maintenant chez moi, auprès des miens.   Soudainement, je voyais le verre à moitié plein.

Installé dans mon salon pour écrire ceci, la tête encore plus décalée que d'habitude et les idées toujours quelque part dans une grosse île au nord de l'Atlantique, j'observais par la fenêtre de la pièce la rue Ste-Dominique s'étendant droit devant moi et dont la fin mal définie se perd derrière  voitures, cyclistes, piétons et – fort heureusement – beaucoup de feuillage.  

C'est à ce moment que je me suis dit que le problème premier de l'asphalte n'est pas sa piètre qualité, sa texture les jours d'été chaud, son odeur ou son aspect dur et stérile.  Non, son principal problème et que quoi que l'on fasse, si l'on se trouve dessus, on sait presque toujours exactement où il nous mènera, ou du moins jusqu'où il peut nous mener.  Ça peut être rassurant par moment, mais encore faut-il savoir mettre le pied sur autre chose et partir, oser un peu le chemin qui ne mène vraiment nulle part.  

À peine revenu, j'ai déjà hâte de repartir, quelque part là où la rue Ste-Dominique semble se terminer, là où l'asphalte est encore personna non grata.  Et cette fois, ce sera sans applaudissements, c'est promis.

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